En lien avec l'Institut Catholique de Paris et la Conférence des Évêques de France
Avent, Fratelli Tutti (5)
5. L’interpellation de la part de l’étranger
Eugène Delacroix , 1798-1863, Le bon samaritain, 1849-1851, Waterhouse collection
Cette peinture de Delacroix a servi de modèle pour la fameuse œuvre de Van Gogh, 1853-1890, Le bon Samaritain, 1890, Rijksmuseum Kröller-Müller.
Eugène Delacroix résume lui-même le sujet de son tableau : « Le bon Samaritain, après avoir pansé les blessures du voyageur, le replace sur sa monture pour le conduire à l’hôtellerie. »
Comme pour d’autres de ses œuvres, Delacroix s’est senti attiré par ce sujet dérangeant. Il détestait les conventions et les hypocrisies sociales, et l’absence de conformisme de cette parabole de saint Luc, le réjouissait : juger un homme non en fonction d’une position sociale ou religieuse, mais seulement sur ses actes, de sa capacité de charité et d’amour.
Dans son tableau Delacroix a choisi d’insister sur les deux hommes, brutalement unis par le hasard de leur rencontre. Il tente de décrire l’attention affectueuse de l’un pour l’autre, à l’instant précis où le blessé est hissé, avec effort, sur le cheval du Samaritain, qui met toute sa force au service du malheureux qu’il vient de secourir.
Le paysage, à l’arrière plan, est d’une grandeur sauvage évoquant les gorges escarpées du Maroc où Delacroix a voyagé, cachant dans l’ombre un moine, prêtre ou lévite, qui s’éloigne en lisant, parfaitement indifférent à l’action.
Delacroix a longuement étudié les attitudes des deux personnages, la description des deux corps soudés l’un à l’autre, celui du Samaritain étant tendu par l’effort tandis que celui du blessé, sans force, s’abandonne dans ses bras. (à voir dans une esquisse conservée au Louvre).
« Le Samaritain courbe les genoux, soutient le blessé de toute sa poitrine, le hausse de ses reins pour l’asseoir sur le cheval en lui détachant le bras de son cou. C’est le double sentiment de confiance et de douleur avec lequel le jeune homme essaie de se prêter à l’intention de l’hercule bienfaisant, et cherche à se reprendre de la main, tant il redoute l’angoisse d’un mouvement nouveau. Il y là quelque chose d’insaisissable que le peintre a cependant saisi » (Journal de l’Assemblée Nationale, 21 mars 1851).
On voit la vigueur et la virtuosité de Delacroix dans le traitement des couleurs. Le samaritain est vêtu d’un manteau écarlate, qui tranche sur la tristesse étouffée de la scène, soulignant l’énergie et la force du sentiment.
Le texte biblique
Et voici qu’un docteur de la Loi se leva et mit Jésus à l’épreuve en disant : « Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? »
Jésus lui demanda : « Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ? Et comment lis-tu ? »
L’autre répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même. »
Jésus lui dit : « Tu as répondu correctement. Fais ainsi et tu vivras. »
Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus : « Et qui est mon prochain ? »
Jésus reprit la parole : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba sur des bandits ; ceux-ci, après l’avoir dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort.
Par hasard, un prêtre descendait par ce chemin ; il le vit et passa de l’autre côté.
De même un lévite arriva à cet endroit ; il le vit et passa de l’autre côté.
Mais un Samaritain, qui était en route, arriva près de lui ; il le vit et fut saisi de compassion.
Il s’approcha, et pansa ses blessures en y versant de l’huile et du vin ; puis il le chargea sur sa propre monture, le conduisit dans une auberge et prit soin de lui.
Le lendemain, il sortit deux pièces d’argent, et les donna à l’aubergiste, en lui disant : “Prends soin de lui ; tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rendrai quand je repasserai.”
Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l’homme tombé aux mains des bandits ? »
Le docteur de la Loi répondit : « Celui qui a fait preuve de pitié envers lui. » Jésus lui dit : « Va, et toi aussi, fais de même. »
Lc 10, 25-37
Commentaires
L’interpellation de la part de l’étranger
Je me souviens que, dans un autre passage de l’Évangile, Jésus dit : « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli » (Mt 25, 35). Jésus pouvait prononcer ces mots parce qu’il avait un cœur ouvert faisant siens les drames des autres. Saint Paul exhortait : « Réjouissez-vous avec qui est dans la joie, pleurez avec qui pleure » (Rm 12, 15). Lorsque le cœur adopte cette attitude, il est capable de s’identifier à l’autre, peu importe où il est né ou d’où il vient. En entrant dans cette dynamique, il fait finalement l’expérience que les autres sont « sa propre chair » (Is 58, 7).
Pour les chrétiens, les paroles de Jésus ont encore une autre dimension transcendante. Elles impliquent qu’il faut reconnaître le Christ lui-même dans chaque frère abandonné ou exclu (cf. Mt 25, 40.45). En réalité, la foi fonde la reconnaissance de l’autre sur des motivations inouïes, car celui qui croit peut parvenir à reconnaître que Dieu aime chaque être humain d’un amour infini et qu’« il lui confère ainsi une dignité infinie ». (Jean Paul II, Message aux personnes porteuses de handicap, 1980)
À cela s’ajoute le fait que nous croyons que le Christ a versé son sang pour tous et pour chacun, raison pour laquelle personne ne se trouve hors de son amour universel. Et si nous allons à la source ultime, c’est-à-dire la vie intime de Dieu, nous voyons une communauté de trois Personnes, origine et modèle parfait de toute vie commune. Sur ce point, il y a des développements théologiques de grande portée. La théologie continue de s’enrichir grâce à la réflexion sur cette grande vérité.
Parfois, je m’étonne que, malgré de telles motivations, il ait fallu si longtemps à l’Église pour condamner avec force l’esclavage et les diverses formes de violence. Aujourd’hui, avec le développement de la spiritualité et de la théologie, nous n’avons plus d’excuses. Cependant, il s’en trouve encore qui semblent se sentir encouragés, ou du moins autorisés, par leur foi à défendre diverses formes de nationalismes, fondés sur le repli sur soi et violents, des attitudes xénophobes, le mépris, voire les mauvais traitements à l’égard de ceux qui sont différents. La foi, de par l’humanisme qu’elle renferme, doit garder un vif sens critique face à ces tendances et aider à réagir rapidement quand elles commencent à s’infiltrer. C’est pourquoi il est important que la catéchèse et la prédication incluent plus directement et clairement le sens social de l’existence, la dimension fraternelle de la spiritualité, la conviction de la dignité inaliénable de chaque personne et les motivations pour aimer et accueillir tout le monde.
Fratelli Tutti n° 84-86