En lien avec l'Institut Catholique de Paris et la Conférence des Évêques de France
La lutte de jacob et de l’ange
Eugène Delacroix, Etude pour Jacob luttant avec l’Ange1850 Graphite, musee Delacroix, Paris
Delacroix reçut la commande des fresques de la chapelle des saints Anges dans l’église saint Sulpice de Paris, par la direction des Beaux arts en 1849. L’ensemble comprend trois fresques : Saint Michel terrassant le dragon, le combat de Jacob avec l’ange et Héliodore chassé du temple, trois épisodes bibliques où l’ange est le messager belliqueux du pouvoir salvateur de Dieu.
Le combat de Jacob est certainement une des compositions les plus puissantes de l’artiste.
Ce dessin met en valeur le sujet principal de la fresque qui montre la beauté de la nature avec des arbres immenses et tortueux, qui est l’étrange couple de lutteurs qui, au terme d’un combat emblématique d’une quête spirituelle, voit Jacob terrassé et vaincu. Delacroix livre ici lui aussi son dernier combat esthétique.
L’attaque frontale frontale de Jacob, le genou haut levé, marque sa détermination au combat, mouvement offensif conservé dans la fresque finale.
Le coup de crayon est rapide et léger, Delacroix suggérant presque un mouvement dansant où l’ange aux ailes juste esquissées pare l’attaque et blesse Jacob à la cuisse.
Delacroix a-t-il été inspiré par Lamartine, qui, dans ses Méditations poétiques, évoque l’enlacement des deux êtres comme les troncs noueux des arbres qui les dominent …
« Dans un formidable silence.
Ils se mesurent un moment.
Soudain, l’un sur l’autre s’élance ;
Saisis d’un même emportement,
Leurs bras menaçants se replient,
Leurs flancs pressent leurs flancs pressés ;
Comme un chêne qu’on déracine,
Leur tronc se balance et s’incline
Sur leurs genoux entrelacés ».
Le texte biblique
Cette nuit-là, Jacob se leva, il prit ses deux femmes, ses deux servantes, ses onze enfants, et passa le gué du Yabboq.
Il leur fit traverser le torrent et il fit passer aussi tout ce qui lui appartenait.
Jacob resta seul. Or, quelqu’un lutta avec lui jusqu’au lever de l’aurore.
L’homme, voyant qu’il ne pouvait pas le vaincre, le frappa au creux de la hanche, et la hanche de Jacob se démit pendant ce combat.
L’homme lui dit : « Lâche-moi, car l’aurore s’est levée. » Jacob répondit : « Je ne te lâcherai que si tu me bénis. »
L’homme lui demanda : « Quel est ton nom ? – Je m’appelle Jacob. –
On ne t’appellera plus Jacob, mais Israël (ce qui signifie : Fort contre Dieu), parce que tu as lutté contre Dieu comme on lutte contre des hommes, et tu as vaincu. »
Jacob lui fit cette demande : « Révèle-moi ton nom, je t’en prie. » Mais il répondit : « Pourquoi me demandes-tu mon nom ? » Et à cet endroit il le bénit.
Jacob appela ce lieu Pénouël (ce qui signifie : Face de Dieu), car il disait : « J’ai vu Dieu face à face, et j’ai eu la vie sauve. »
Au lever du soleil, il traversa le torrent à Pénouël. Il resta boiteux de la hanche.
Gn 32, 23-32
Commentaires
Récit, ô combien mystérieux et pourtant si connu ! Jacob combat avec un personnage qui se révèle être Dieu, l’imaginaire est fort sollicité. Littérature, peintures et musiques en ont été inspirées en nombre.
Cet épisode fait partie des traditions sur Jacob connues du prophète Osée au 8e ap JC.(Os 12,3-5)
Le récit se présente comme une mise à l’épreuve. Jacob organise de nuit, le passage du gué pour toute sa famille et ses troupeaux pour les protéger du danger.. La nuit est un temps favorable pour agir de façon cachée, donc pour Jacob le meilleur moment pour entrer dans le territoire de son frère sans être vu.
Jacob s’isole avant d’affronter son frère Esaü pour faire la vérité sur lui-même. Dans bien des littératures la mer ou la rivière sont somme un frontière que le héros doit franchir pour poursuivre son chemin. La solitude de Jacob cette nuit-là laisse entendre que ce passage est une expérience initiatique.
Voilà que c’est Jacob qui est surpris par une attaque soudaine, à laquelle il n’était pas préparé. Il pensait tout contrôler et il doit affronter une lutte mystérieuse qui le surprend seul..
L’attaque de « l’homme » est imprévue et constitue une épreuve dont Jacob, le rusé et le fort, sortira soit vaincu soit confirmé pour un nouveau parcours. Le texte ne permet pas d’établir qui des deux adversaires réussit a avoir le dessus.
S’agit-il d’un véritable combat ? Le verbe hébreu est souvent traduit par « se battre », mais son substantif signifie « poussière », faudrait-il comprendre « se rouler dans la poussière » comme dans un corps à corps ?. Le combat est long , il dure jusqu’à l’aurore.
A première vue Jacob semble le plus fort, son adversaire lui demande grâce. Malgré sa blessure à la hanche, Jacob résiste avec ténacité. Mais il pressent l’identité de son adversaire puisque même blessé, il ne veut pas le lâcher sans obtenir de lui une faveur. Jacob qui par ruse avait dérobé son frère de la bénédiction due à l’ainé, demande à son adversaire sa bénédiction, c’est à dire une force divine.
Cette demande de bénédiction par Jacob confirme la véritable supériorité de l’adversaire qu’il a vaincu.
Jacob annonce son nom à son rival, un nom lourd de toutes ses ruses et tromperies. Connaître le nom de quelqu’un implique une sorte de pouvoir sur la personne, car le nom dans la mentalité biblique, contient la réalité la plus profonde de l’individu, en dévoile le secret et le destin, cela permet de le dominer. Ainsi Jacob se met entre les mains de son adversaire, c’est une façon de capituler.
Il reçoit alors un nouveau nom : Israël, « que Dieu soit fort ». cela signifie pour Jacob un nouveau commencement. Jacob devient Israël, tourné vers le futur, le premier de tout un peuple..
La fin du récit montre la lucidité finale de Jacob sur l’identité de son adversaire. Jacob, à son tour, fait œuvre de nomination en désignant ce lieu comme Pénouël, « la face de Dieu ». Le lieu se métamorphose, d’abord, rive d’un torrent, lieu sinistre dans l’ombre de la nuit, où se produit l’agression, lieu de mort, en un lieu où le soleil luit, qui devient sacré.
Ainsi ce texte parle de la longue nuit de la recherche de Dieu, de la lutte pour en connaître le nom et en voir le visage. C’est la nuit de la prière qui avec ténacité et persévérance demande à Dieu la bénédiction et un nouveau nom, une nouvelle réalité fruit de conversion et de pardon.