En lien avec l'Institut Catholique de Paris et la Conférence des Évêques de France
L’ Assomption
Le Titien, 1488-1576, L’assomption de la Vierge, 1515-18, église Santa Maria Gloriosa dei Frari, Venise
« L’Assunta est une des plus grandes machines du Titien où il s’est élevé à la plus grande hauteur : la composition est équilibrée et distribuée avec un art infini.
La portion supérieure, qui est cintrée, représente le paradis, la gloire, pour parler comme les Espagnols dans leur langage ascétique ; des collerettes d’anges, noyés et perdus dans un flot de lumière à d’incalculables profondeurs, étoiles scintillantes sur la flamme, pétillements plus vifs du jour éternel, forment l’auréole du Père qui arrive du fond de l’infini, avec un mouvement d’aigle planant, accompagné d’un archange et d’un séraphin dont les mains soutiennent la couronne et le nimbe. […]
Une puissance sans borne, une jeunesse impérissable font rayonner cette face à barbe blanche qui n’a qu’à se secouer pour en faire tomber la neige des éternités: depuis le Jupiter olympien de Phidias, jamais le maître du ciel n’a été représenté plus dignement.
Le milieu du tableau est occupé par la Vierge Marie, qui soulève, ou plutôt qu’entoure une guirlande d’anges et d’âmes bienheureuses, car elle n’a pas besoin d’aides pour monter au ciel; elle s’enlève par le jaillissement de sa foi robuste, par la pureté de son âme, plus légère que l’éther le plus lumineux.
Il y a vraiment dans cette figure une force d’ascension inouïe, et, pour obtenir cet effet, Titien n’a pas eu recours à des formes grêles, à des draperies fuselées, des couleurs transparentes.
Sa Madone est une femme très-vraie, très-vivante, très-réelle, d’une beauté solide comme la Vénus de Milo ou la Femme couchée de la Tribune de Florence.
Une draperie ample, étoffée, voltige autour d’elle à plis nombreux; ses larges flancs ont pu contenir un Dieu. […]
Et pourtant, rien n’est plus célestement beau que cette grande et forte figure dans sa tunique rose et son manteau d’azur ; malgré la volupté puissante du corps, le regard étincelle de la plus pure virginité.
Dans le bas du tableau, les apôtres se groupent en diverses attitudes de ravissement et de surprise habilement contrastées.
Deux ou trois petits anges, qui les relient à la zone intermédiaire de la composition, semblent leur expliquer le miracle qui se passe. Les têtes d’apôtres, d’âges et de caractères variés, sont peintes avec une force de vie et une réalité surprenantes.
Les draperies ont cette largeur et ce jet abondant qui caractérise en Titien le peintre à la fois le plus riche et le plus simple. […]
Grâce à un linceul poudreux qui l’a recouverte pendant si longtemps, l’Assunta brille d’un éclat tout jeune, les siècles n’ont pas coulé pour elle, et nous jouissons de ce suprême plaisir de voir un tableau de Titien tel qu’il sortit de sa palette. »
Theophile Gautier, 1811-1872, Voyage d’Italie 1852
Le texte biblique
Entrons dans la demeure de Dieu,
prosternons-nous aux pieds de son trône.
Monte, Seigneur, vers le lieu de ton repos,
toi, et l’arche de ta force !
Que tes prêtres soient vêtus de justice,
que tes fidèles crient de joie !
Pour l’amour de David, ton serviteur,
ne repousse pas la face de ton messie.
Car le Seigneur a fait choix de Sion ;
elle est le séjour qu’il désire :
« Voilà mon repos à tout jamais,
c’est le séjour que j’avais désiré. »
Ps 131, 7-8, 9-10, 13-14
Commentaires
« Le Quinze Août marque le comble et le sommet de l’année, la sainte Vierge monte au ciel tenant entre ses bras une gerbe d’or : je veux dire qu’après cette courte séparation pour elle, le corps a été invité à rejoindre l’âme. La création une fois de plus est venue à bout de son fruit suprême, elle a confié à cette messagère les prémices pour une semaille nouvelle de l’espèce eucharistique […]
Tout s’est éteint sur la terre, mais quel est là-haut ce petit nuage couleur de feu dans le ciel qui vient de s’allumer comme une écharpe éperdue ? Quelle est cette femme là-haut qui s’élève sur les ailes de la prière ? Ce n’est plus une gerbe qu’elle porte dans ses bras, ce ne sont plus des clefs qu’elle serre contre sa poitrine, c’est notre cœur, c’est une grappe entre ses mains ! Son propre cœur entre ses mains qu’elle serre, c’est cela qui la fait monter ! Alleluia ! Dites ! Quelle est cette colombe de feu là-haut qui a oublié le chemin du retour ? Elle s’éteint… »
Paul Claudel, la rose et le rosaire, Gallimard 1947