En lien avec l'Institut Catholique de Paris et la Conférence des Évêques de France
Ouvrir a celui qui frappe à la porte, se laisser déranger
Rembrandt (1606-166), famille de mendiants recevant l’aumône, 1648, musée du Louvre
Rembrandt est bien connu pour ses gravures où il a excellé tout au long de sa vie, toujours en recherche de nouvelles techniques et de nouvelles réalisations artistiques ; les effets de lumière marqueront particulièrement cette recherche. Cette technique consistait en des traits de pointes de différentes forces, avec des coups irréguliers et isolés, qui créent un profond clair-obscur d’une grande intensité.
A l’époque de notre gravure, Rembrandt est au sommet de son art, alliant la perfection de sa technique, le style personnel et évocateur et la poésie.
Le personnage prodiguant son aumône est bien présent, bien que sortant à peine de sa maison. Il est dans l’ombre mais son visage est éclairé et sa main tendue est mise en valeur.
La famille au grand complet s’approche de sa maison. Scène de la vie quotidienne, père, mère portant un bébé dans son dos, et le jeune enfant. Tous convergent vers le bienfaiteur. L’action est mise en évidence par la structure de la lumière sur les personnages.
Cette famille de mendiants reçoit bon accueil, le vieil homme voit-il en elle Jésus qui frappe à sa porte ?
Le texte biblique
Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi.
Ap 3 20
Commentaires
Ainsi parle le Seigneur à l’Église de Laodicée. Ces paroles n’appartiennent pas au texte de nos quatre évangiles mais, faisant partie de l’Apocalypse, elles appartiennent à l’Évangile éternel qui réunit tous les messages que Dieu adresse aux hommes. Elles ne se rapportent pas à un épisode historique déterminé. Elles décrivent une situation universelle, située hors du temps et de l’espace. Elles expriment une expérience qui peut être d’hier ou d’aujourd’hui ou de demain, un appel qui sans cesse retentit à mon cœur comme à mon oreille et me bouleverse. “Je me tiens à la porte… ” Je l’ai vu venir. Il marchait rapidement. Je savais, ou plutôt, je sentais qu’il venait vers ma maison, et je me suis retiré en hâte de la fenêtre, pour qu’il ne m’aperçût pas. Car je n’étais pas sûr que je lui ouvrirais. Ses visites produisent sur moi une impression double, contradictoire. Nous nous connaissons depuis bien longtemps… Il y eut des temps où nous étions intimes. Puis nos rapports se sont espacés. D’une part, je me sentais honoré et heureux de l’avoir chez moi. D’autre part, je me sentais souvent gêné. Il me posait des questions personnelles, assez abruptes, qui agissaient sur moi comme des brûlures. Je tâchais de détourner l’entretien vers le domaine des idées et des doctrines. Mais toujours il le ramenait vers les choses intimes dont je craignais de parler. Plusieurs fois il est venu et, au lieu d’ouvrir, je me suis caché, non sans honte, non sans remords. Voici que maintenant il est arrivé à ma porte. Non pas à la porte principale de ma maison. Il se tient en ce moment devant une porte de derrière, plus petite. Au début de notre intimité, quand je ne voulais pas avoir de secrets pour lui, je l’avais prié de venir toujours par cette porte de derrière, laissant la grande porte aux hôtes étrangers, aux visites de cérémonie. Puis, je me suis mis à éprouver un malaise devant l’usage qu’il faisait de cette porte réservée. Entrant par derrière, il était à même de voir ou même de traverser des pièces familières mal tenues. Il semblait prendre un intérêt à ma salle à manger, à ma cuisine, à ma chambre à coucher. Le désordre et la poussière ne lui échappaient pas. Il y fit même des allusions à la fois discrètes et directes. Je répondis évasivement : ” Oh ! c’est si difficile… Je n’arrive pas…” Il me dit alors : “Et si nous essayions ensemble, tous deux ?… ” Mais j’avais peur. Je craignais qu’il découvrit à quel point certaines choses n’étaient pas ce qu’elles devaient être. J’ajournai, je prétextai des occupations urgentes. Afin de couper court, je condamnai la porte de derrière. Je le fis désormais entrer par la porte de la façade. Je le reçus au salon. Ses visites devinrent, de mon fait, de plus en plus froides et formelles, et de plus en plus rares. Il est donc arrivé à la porte de derrière. Elle est close. Depuis que ” sa ” porte a été condamnée, une végétation sauvage commence à la recouvrir. Le lierre croît librement. Au pied de la porte poussent des herbes folles et même des plantes toxiques, des tiges de belladone et de ciguë. La serrure est rouillée. Il s’est arrêté devant ” sa ” porte, et il la regarde. Va-t-il frapper ? Veut-il entrer par cette porte et montrer ainsi qu’il désire renouer les relations intimes d’autrefois ? Mais voilà qu’il frappe. Vais-je ouvrir ? Rien n’est prêt pour le recevoir. Un désordre inouï s’étale partout. Et où est la clef de cette porte ? Il frappe encore. Je l’observe de loin. Il frappe doucement. Il ne donne pas de coups de poing. Il heurte lentement la porte avec le doigt majeur. Je remarque que son regard n’est pas dirigé directement en face, vers la porte. Tout en frappant, il regarde par côté et en haut, vers le ciel. Son expression est grave, attentive, mais non impatiente. Il semble se concentrer, non sur la porte et la réponse que je ferai, mais sur la grâce que le Père peut accorder, sur la décision que le Père peut inspirer. Il frappe toujours. ” Je me tiens à la porte et je frappe… ” Le verbe est au présent. Il s’agit d’une action répétée, continue. Que faire ? Je ne puis pas vivre sans sa présence, et je ne puis supporter sa présence. Si j’ouvre, va-t-il m’adresser des reproches ? Essaierai-je de m’excuser ? Je ne puis ouvrir que si je me rends à lui sans conditions… Alors il n’y aura plus de problèmes… Allons ! Je vais vers la porte. J’ouvre cette porte qui grince et que retiennent les plantes parasites. Je m’efface : ” Seigneur, entre… Seigneur, tu sais… ” J’allais dire : ” Tu sais que, malgré tout, je t’aime… ” Mais je n’ose continuer la phrase, et un sanglot étrangle ma voix. Lui me regarde avec un sourire calme. Il dit : “Je sais. Je vais souper avec toi”. Je m’écrie :”Seigneur, je n’ai pas préparé de repas. Je n’ai rien de ce qu’il faut. Il répond : ” C’est moi qui t’invite à mon souper. Je veux, chez toi, célébrer ma Cène ».
Lev Gilet, 1893-1980, Un moine de l’Église d’Orient ” Le Visage de Lumière ” Editions de Chevetogne