En lien avec l'Institut Catholique de Paris et la Conférence des Évêques de France
DES FEMMES « PORTENT » LA VIE QUI VIENT (4)
Robert Scott Lauder Scottish (1803 – 1869),Ruth, 1845, national Gallery Ecosse
Ruth, l’étrangère qui assure la descendance et la pérennité de l’alliance
Ruth la moabite, une étrangère, fille du peuple de Moab que Moïse a banni à jamais de l’assemblée d’Israel ! Elle épouse un homme de la tribu de Benjamin dont la famille s’est réfugiée en Moab pour fuir la famine. Les temps sont dramatiques pour Israël. Le peuple se déchire dans une guerre civile. Seul un roi pourrait le sortir de là, et pourtant c’est par une femme que tout va recommencer
Ruth va décider d’adhérer à l’alliance entre Israël et Dieu, et de rentrer dans le peuple du Seigneur. Booz, un notable du pays, rencontre Ruth qui glanait dans les champs. Il loue Ruth en reprenant les mots de l’appel de Dieu à Abraham. De leur liaison naîtra Obed, le grand-père de David. Le roi qui sauvera Israel est donc le fruit de la rencontre entre un juste d’Israël et une étrangère qui a osé imiter Abraham, se montrant ainsi digne des mères d’Israël.
..Et ce songe était tel, que Booz vit un chêne
Qui, sorti de son ventre, allait jusqu’au ciel bleu ;
Une race y montait comme une longue chaîne ;
Un roi chantait en bas, en haut mourait un dieu.
Et Booz murmurait avec la voix de l’âme :
” Comment se pourrait-il que de moi ceci vînt ?
Le chiffre de mes ans a passé quatre-vingt,
Et je n’ai pas de fils, et je n’ai plus de femme.
” Voilà longtemps que celle avec qui j’ai dormi,
O Seigneur ! a quitté ma couche pour la vôtre ;
Et nous sommes encor tout mêlés l’un à l’autre,
Elle à demi vivante et moi mort à demi.
” Une race naîtrait de moi ! Comment le croire ?
Comment se pourrait-il que j’eusse des enfants ?
Quand on est jeune, on a des matins triomphants ;
Le jour sort de la nuit comme d’une victoire ;
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Pendant qu’il sommeillait, Ruth, une moabite,
S’était couchée aux pieds de Booz, le sein nu,
Espérant on ne sait quel rayon inconnu,
Quand viendrait du réveil la lumière subite.
Booz ne savait point qu’une femme était là,
Et Ruth ne savait point ce que Dieu voulait d’elle.
Un frais parfum sortait des touffes d’asphodèle ;
Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala.
L’ombre était nuptiale, auguste et solennelle ;
Les anges y volaient sans doute obscurément,
Car on voyait passer dans la nuit, par moment,
Quelque chose de bleu qui paraissait une aile.
[]
… Et Ruth se demandait,
Immobile, ouvrant l’oeil à moitié sous ses voiles,
Quel dieu, quel moissonneur de l’éternel été,
Avait, en s’en allant, négligemment jeté
Cette faucille d’or dans le champ des étoiles.
Victor Hugo, 1802-1885, « Booz endormi », Légendes des siècles, 1859
Le texte biblique
Booz dit aux anciens et à tout le peuple : « Aujourd’hui, vous en êtes témoins : de la main de Noémi, j’ai pris possession de tout ce qui appartenait à Élimélek ainsi qu’à Kilyone et Mahlone.
J’ai également pris pour femme Ruth, la Moabite, la femme de Mahlone, afin que le nom du mort reste attaché à son héritage et ne soit pas effacé parmi ses frères ni à la porte de sa ville. Vous en êtes témoins, aujourd’hui. »
Tout le peuple qui se trouvait à la porte de la ville, ainsi que les anciens, répondirent : « Nous en sommes témoins. Que le Seigneur rende la femme qui entre dans ta maison comme Rachel et comme Léa qui, à elles deux, ont bâti la maison d’Israël ! Fais fortune en Éphrata ! Fais-toi un nom à Bethléem !
Puisse la descendance que le Seigneur te donnera par cette jeune femme rendre ta maison comme la maison de Pérès que Tamar enfanta à Juda ! »
Booz prit donc Ruth comme épouse, elle devint sa femme et il s’unit à elle. Le Seigneur lui accorda de concevoir, et elle enfanta un fils.
Ruth 4, 9-13
Commentaires
Le sens symbolique de l’histoire de Ruth
Comment se fait-il que Ruth, l’étrangère, ait épousé un Juif ? Et pourquoi l’évangéliste Matthieu a-t-il cru devoir mentionner, dans la généalogie du Christ, cette union interdite par le texte même de la loi ? (Dt 7,3) […] De plus, Ruth n’était pas une étrangère quelconque, elle était Moabite ; or, la Loi de Moïse, qui défendait les mariages avec les païens, excluait tout particulièrement les Moabites et l’assemblée. On y lit en effet : les Moabites n’auront pas accès à l’assemblée du Seigneur, même à la troisième et à la quatrième génération, et cela pour toujours (Dt 23,4).
Comment donc Ruth est-elle entrée dans l’assemblée du Seigneur, sinon par une conduite simple et sans tache qui l’a placée au-dessus de la Loi ? […] Oui vraiment , si Ruth a échappé aux interdits de la Loi, si elle est entrée dans l’Église en devenant israélite, si elle a mérité d’être comptée parmi les aïeules du Seigneur, c’est en raison d’un choix divin, fondé non sur les liens du sang, mais sur une parenté spirituelle.
Ruth est donc un grand exemple pour nous tous qui avons été rassemblés au milieu des nations païennes, car en elle fut préfigurée notre entrée dans l’Église. Imitons-la : sa conduite lui a mérité la grâce d’être admise dans la communauté d’Israël, comme le récit nous l’enseigne ; à notre tour,méritons d’être accueilli dans l’Église du Seigneur par la pureté de notre vie. […]
Lorsque cette décision de Ruth (venir avec Noémi, sa belle-mère en Israël), son dévouement pour sa belle-mère, sa fidélité envers son mari défunt, sa piété pour Dieu parvinrent à la connaissance de Booz, qui,devait être l’aïeul de David, il la choisit pour épouse, conformément à la Loi de Moïse (Dt 25,5), afin de susciter une descendance à son parent décédé.
C’est donc à juste titre que saint Matthieu, voulant par son évangile inviter les peuples païens à entrer dans l’Église, a rappelé que le Seigneur lui-même, auteur de ce rassemblement des nations païennes, a tiré de femmes étrangères son origine selon la chair.
Saint Ambroise, Le sens symbolique de l’histoire de Ruth, Coimmentaire de l’évangile de Luc, livre III n° 30-33