En lien avec l'Institut Catholique de Paris et la Conférence des Évêques de France
Prier Dieu qui est présent dans le secret
Le Greco ( 1541-1614), Agonie dans le jardin, vers 1610-1612, Musée des Beaux arts de Budapest.
Ce tableau peint par le Greco en 1600 porte le titre original de « L’oraison dans le verger ». Le Greco a repris ce sujet plusieurs fois, plus de cinq fois dans des formats différents.
Deux parties distinctes divisent le tableau, Jésus en prière et les disciples endormis cachés sous un rocher. Jésus s’est retiré seul pour prier son Dieu.
La partie prière est en pleine lumière. Jésus est seul, entouré d’une lumière surnaturelle, vêtu d’une superbe tunique rose, son manteau bleu a glissé à terre lui formant un tapis de prière qui l’isole du reste du monde. Il est agenouillé, le corps droit, légèrement penché en avant vers l’ange ; il prie intensément habité par l’angoisse qui est la sienne avant de vivre sa passion, il est déchiré entre ses sentiments humains et sa volonté de rester fidèle jusqu’au bout à son Dieu et d’accomplir sa mission. Il doit tout confier à son Père, il doit être seul pour exprimer son angoisse qui se lit sur sa figure, dans sa prière.
Jésus est en relation avec Dieu qui ne se voit pas mais qui est tellement présent dans le ciel lumineux malgré la nuit. C’est vers le lointain que Jésus fixe les yeux.
L’ange porte une longue robe blanche et tient dans sa main gauche la coupe qui doit être le signe de la nouvelle alliance.
Jésus ouvre les mains, sa prière est déjà offrande.
Jésus est bien isolé par rapport aux autres groupes de disciples, les uns endormis sous un rocher, les autres discutant dans le lointain. Dans le moment présent, ce ne sont pas eux qui comptent mais sa prière intime vers son Père.
Le texte biblique
« Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer. Sinon, il n’y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux.
Ainsi, quand tu fais l’aumône, ne fais pas sonner la trompette devant toi, comme les hypocrites qui se donnent en spectacle dans les synagogues et dans les rues, pour obtenir la gloire qui vient des hommes. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense.
Mais toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite,
afin que ton aumône reste dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.
Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites : ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et aux carrefours pour bien se montrer aux hommes quand ils prient. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense.
Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.
Et quand vous jeûnez, ne prenez pas un air abattu, comme les hypocrites : ils prennent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense.
ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes, mais seulement de ton Père qui est présent au plus secret ; ton Père qui voit au plus secret te le rendra.
Mt 6,1-6, 16-18
Commentaires
Cette partie du sermon sur la montagne traite de la prière, de l’aumône et du jeûne qui constituent les trois piliers de la piété juive et que Jésus prend très au sérieux.
Le texte liturgique de ce jour a coupé le passage sur le Notre Père (v 7-15).
Notons que la traduction littérale du premier verset donne le ton à l’ensemble : « Gardez vous de pratiquer votre justice à la face des hommes pour être regardés par eux. »
Ce qu’il convient de faire pour suivre la volonté de Dieu, la justice concrétisée par des actes de piété, doit correspondre à une intention profonde.
La question fondamentale est de savoir si on veut montrer ostensiblement aux hommes sa qualité de juste. Ne serait-ce pas dévoyer la « justice » qui en fait au jugement final, se révélera comme une affaire entre Dieu et chacun ?
L’aumône est importante chez les Juifs, elle est appelée acte de justice chez les Sages (Si 3,30), traduisant la fraternité exigée par l’Alliance : secourir les pauvres efface le péché (Tb 12,9) et vaut un sacrifice . Refuser l’aumône, c’est risquer de voir sa prière inexaucée.
Jésus ne renie pas cette spiritualité, mais il en dénonce la pratique ostentatoire. Le vrai disciple se reconnaîtra à sa discrétion, à son abandon filial à Dieu qui seul peut apprécier la valeur de l’acte : « ton Père voit dans le secret » est répété trois fois dans notre passage. Il y a une relation intime entre l’homme et son Père.
Puis vient la prière. A nouveau Jésus exprime son désaveu de la prière ostentatoire. C’est là que Jésus enseigne la prière du Notre Père.
Après avoir évoqué l’Aumône et la prière, Jésus en vient au troisième pilier de la piété juive, le jeûne. En Israël le jeûne était fondamentalement un signe de deuil. Les Juifs allaient plus loin que le souvenir d’une catastrophe naturelle ou nationale, il prenait le péché comme cause de deuil, le péché compris comme mort de la relation avec Dieu. Jeûner devenait alors le signe d’un profond repentir. Les pharisiens en venaient à jeûner trois fois par semaine, avec des signes extérieurs : on ne se lavait pas, on ne se parfumait pas. Matthieu ne conteste pas la valeur du jeûne, mais il importe de supprimer les signes extérieurs du jeûne qui permettaient de se bâtir une réputation au lieu de s’en remettre à la seule approbation du Père.